
En cas de séparation ou de divorce, que peut faire le parent qui a le droit de visite contre le refus de l’enfant ?
Gwen a convaincu son fils Andrew, 10 ans, que Peter est un mauvais père. Andrew refuse désormais de voir son père.Peter peut-il obtenir l’exécution forcée de son droit de visite contre le refus de son fils ?
Réponse
Peter pourra tenter de demander à l’autorité compétente (par ex. dans le canton de Vaud la Justice de Paix et à Genève le Procureur général) d’ordonner que la police l’aide à faire respecter son droit de visite à l’endroit de son fils Andrew, sans être du tout certain que l’exécution forcée lui soit accordée, bien au contraire.
En l’état actuel de la juriprudence du Tribunal fédéral, Peter doit plutôt s’attendre à ce qu’une expertise soit ordonnée et que le droit de visite soit suspendu ou limité à quelques heures par semaine et qu’il puisse être exercé uniquement dans un lieu spécialement destiné à cet effet (Point rencontre) et sous surveillance des services sociaux. En cas de désaccord de la part de Peter, celui-ci pourra recourir en invoquant l’art. 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme de 2006 cité ci-dessous, une démarche aléatoire toutefois.
Pour en savoir plus (sources & règles applicables en droit suisse)
Droit fédéral et jurisprudence du Tribunal fédéral
Aux termes de la loi, lorsque l’exercice ou le défaut d’exercice de ce droit est préjudiciable à l’enfant, ou que d’autres motifs l’exigent, l’autorité de protection de l’enfant peut rappeler les père et mère, les parents nourriciers ou l’enfant à leurs devoirs et leur donner des instructions.
Voir Art. 273 D. Relations personnelles / I. Père, mère et enfant / 1. Principe.
Pour des raisons liées à la protection de la personnalité, il ne faut pas recourir à la contrainte physique ou psychique contre un enfant qui s’oppose au droit de visite, d’autant plus que le parent titulaire du droit de visite ne peut être que rappelé à ses devoirs et non pas contraint de les remplir. Selon le Tribunal fédéral, il s’agit de renoncer à la contrainte directe sur les enfants dans l’exécution du droit de visite, dans la mesure où la contrainte est contraire à l’objectif du droit de visite, voir TF, 5A_107/2007, consid. 3.3.
Dans un arrêt plus récent, le Tribunal fédéral a rappelé ce principe de renoncer à la contrainte directe, cela en tout cas lorsque l’enfant est capable de discernement (11-12 ans) et exprime donc un choix éclairé, voir TF, 5A_764/2013, consid.2 (all.).
Tout au plus peut-on recourir à la contrainte indirecte, c’est-à-dire à la menace d’une peine pour insoumission à une décision de l’autorité. Cette contrainte sera alors exercée contre le parent gardien.. Le juge devra toutefois avoir dans sa décision fixant le droit de visite menacé la parent gardien (le plus souvent la mère) de la peine prévue par l’art. 292 CP.
Pour un exemple où le Tribunal fédéral n’a en revanche pas jugé arbitraire un arrêt cantonal ordonnant l’exécution forcée du droit de visite, voir ATF 120 Ia 369.
Dans notre pays et sous réserve d’une mise en conformité du droit à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme de 2006, il sera procédé le plus souvent ainsi en cas de refus de l’enfant de voir le parent titulaire du droit de visite:
- le juge ordonnera une expertise à ce sujet,
- jusqu’à l’expertise, le droit de visite sera suspendu ou limité (par ex. rencontre de 2 heures par semaine dans un Point rencontre sous la surveillance des services sociaux),
- l’expert sera chargé de dire s’il faut maintenir le droit de visite et si l’enfant ou les parents peuvent être aidés à améliorer les relations familiales par des mesures non-contraignantes, pour ne pas exercer de pression morale sur l’enfant.
Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme: art. 8 CDEH
L’art. 8 de la Convention européenne des droits de l’homme protège la vie privée de chacun contre les ingérences de l’Etat et impose parfois aux autorités d’adopter un certain comportement. Voir voir Art. 8 Droit au respect de la vie privée et familiale.
En 1981 la Cour européenne des droits de l’homme, saisie par un parent titulaire du droit de visite d’un recours contre un jugement suisse refusant l’exécution forcée du droit de visite a tout d’abord considéré que cette disposition n’imposait pas aux autorités judiciaires suisses d’accorder l’exécution forcée du droit de visite contre le bien des enfants de 14 et 11 ans en cas de refus de ceux-ci de voir leur père.
En 2000 toutefois, la Cour européenne des droits de l’homme, saisie d’un recours d’un enfant contre un jugement suisse accordant l’exécution forcée du droit de visite (limité à deux heures tous les quinze jours en un Point Rencontre), a considéré que l’enfant ne pouvait se plaindre de l’exécution forcée qui représentait certes une ingérence dans sa vie privée mais que cette atteinte intervenait pour son bien, à savoir la nécessité pour le développement équilibré de l’enfant de renouer le contact avec son père. Voir Décision de la Cour européenne des droits de l’homme du 7 septembre 2000.
Par ailleurs, en 2006, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un arrêt en faveur d’un citoyen tchèque qui l’avait saisie pour un problème de non-représentation d’enfant, en l’occurrence sa fille, après divorce. Cet arrêt a condamné l’État tchèque, mettant en évidence son laxisme et son incapacité à faire respecter les droits de visite du père, pourtant établis par les différentes instances judiciaires. Concernant l’enfant et les pressions exercées sur elle par sa mère pour l’amener à rejeter son père, l’arrêt utilise à cinq reprises l’expression “syndrome d’aliénation parentale”. Voir Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme affaire Zavřel c. République Tchèque.
Pour un autre arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, voir Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme affaire Koudelka c. République Tchèque.
NB : Pour un cas où la Suisse a été condamnée pour violation de l’art. 8 CEDH au motif que les autorités cantonales ont laissé repartir sans l’arrêter une mère qui avait enlevé son enfant, voir Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Bianchi, 7548/04, du 22 juin 2006, ch. 76-100.
Le syndrome d’aliénation parentale
Par syndrome d’aliénation parentale, on entend un désordre psychologique de l’enfant trouvant son origine dans le discours négatif du parent gardien (en règle générale la mère) à l’encontre du parent titulaire du droit de visite (en règle générale le père). Selon cette approche, controversée par certains mais paraissant bien réelle aux parents qui s’en sentent victimes, le parent gardien programmerait ainsi l’enfant à se détourner de l’autre parent et il conviendrait de déprogrammer l’enfant par des mesures radicales telles que l’exécution forcée de droit de visite, voire la modification de l’attribution de l’autorité parentale et l’interdiction de tout contact entre l’ancien parent gardien et l’enfant.
En Suisse, les tribunaux paraissent plutôt réticents à admettre la théorie du syndrome de l’aliénation parentale et à ordonner des mesures radicales sur cette base.