6. Divorce déjà introduit à l’étranger

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Le conjoint vivant en Suisse peut-il encore divorcer en Suisse si l’autre conjoint a déjà introduit action à l’étranger ?

Alice et Jules sont séparés de fait depuis deux ans. Alice, qui n’est pas française contrairement à Jules, est restée en Suisse tandis que son conjoint Jules a introduit action en divorce auprès du juge de son nouveau domicile en France.
Alice peut-elle encore divorcer (ou se séparer de corps) en Suisse si Jules a pour sa part déjà introduit action en France ?
 

Réponse

Quelles sont les questions juridiques posées en cas de litispendance internationale ?

On parle en droit de litispendance internationale quand deux tribunaux sont saisis dans des pays différents d’une même affaire, par exemple une demande en divorce concernant le même couple de conjoints. Dans pareil cas, on doit se demander si le conjoint qui veut introduire une action en Suisse peut encore le faire.
Pour savoir si Alice peut encore introduire une action en divorce devant le juge suisse de son domicile, ou si au contraire l’action en divorce en France par Jules suspend l’action d’Alice en Suisse, il faut tout d’abord rechercher si le jugement de divorce français pourra être reconnu et exécuté en Suisse, en d’autres termes s’il peut déployer des effets juridiques en Suisse, être valide en Suisse.
Le jugement français du domicile de Jules sera reconnu en Suisse notamment si aux yeux du droit suisse, le juge français du domicile de Jules était compétent pour se prononcer sur le divorce d’Alice et Jules. On appelle cette compétence compétence indirecte.

 

Compétence indirecte du juge français du domicile de Jules ?

Pour savoir si la compétence du juge français est admise du point de vue du droit suisse, il convient tout d’abord de rechercher s’il existe une convention internationale entre la Suisse et la France qui régisse la compétence du juge français du domicile de Jules ou si c’est la loi fédérale de droit international privé qui régit la question.
Il n’existe pas de telle convention. En particulier, la Convention de Lugano conclue notamment entre la Suisse et la France ne devrait pas fonder une compétence du juge français obligatoire pour Alice, aucune autre convention internationale n’étant applicable. Dès lors, cette question sera examinée au regard de la loi fédérale droit international privé.
Pour admettre la compétence indirecte du juge français dans le cas d’Alice et Jules, la loi fédérale de droit international privé exige en principe que le jugement de divorce (ou de séparation de corps) :

  • soit rendu dans l’État de domicile ou de résidence habituelle d’Alice ou de Jules
  • ou dans l’État national de l’un d’entre eux
  • ou soit reconnu dans l’un de ces États

Toutefois, la loi fédérale de droit international privé pose en outre une condition supplémentaire à sa reconnaissance du fait qu’Alice n’est en l’occurrence pas française : il faudrait encore qu’Alice ne soit pas domiciliée en Suisse (ou qu’elle ait accepté la compétence du juge français ou encore qu’elle accepte de reconnaître le jugement français).
Comme Alice est bien domiciliée en Suisse, la compétence indirecte du juge français ne sera pas donnée et le jugement de divorce français ne sera donc pas reconnu en Suisse (sauf si Alice choisissait malgré tout d’accepter la compétence du juge français dans le cadre de la procédure ouverte en France ou de reconnaître ledit jugement).
Cela signifie qu’Alice pourra introduire action en Suisse malgré l’action en divorce introduite en France par Jules.

 

Pour en savoir plus (sources & règles applicables en droit suisse)

Litispendance internationale: la solution en droit suisse

La loi fédérale de droit international privé prévoit que lorsqu’une action ayant le même objet est déjà pendante entre les mêmes parties à l’étranger, le tribunal suisse suspend la cause s’il est à prévoir que la juridiction étrangère rendra, dans un délai convenable, une décision pouvant être reconnue en Suisse.
Pour déterminer quand une action a été introduite en Suisse, la date du premier acte nécessaire pour introduire l’instance est décisive. La citation en conciliation suffit. Voir Art. 9 XI. Litispendance.
Selon la jurisprudence, il ne peut y avoir suspension qu’à trois conditions :

  • les procès ont lieu entre les mêmes parties,
  • l’objet du litige est identique dans les deux procédures
  • et il est prévisible que la juridiction étrangère rende, dans un délai convenable, une décision qui puisse être reconnue en Suisse.

 

La compétence dite indirecte du juge étranger

Le tribunal, saisi d’une exception de litispendance, n’a pas à examiner de façon définitive si la procédure ouverte à l’étranger se traduira par une décision susceptible de reconnaissance, condition qui s’apprécie selon le droit suisse. On se contente d’un pronostic qui portera sur la compétence internationale du juge d’origine et l’absence de motif de refus. Il suffit que la reconnaissance n’apparaisse pas exclue par avance. Une décision étrangère ne peut être reconnue en Suisse que si la compétence des autorités judiciaires ou administratives de l’Etat dans lequel la décision a été rendue était donnée. Cette compétence, dite indirecte, est notamment donnée si elle résulte d’une disposition de la loi fédérale de droit international privé. Voir TF, 5C.289/2006, consid. 3.1 et 4.
Il convient de préciser qu’un jugement de divorce ou de séparation de corps étranger sera reconnu en Suisse non seulement aux conditions de la loi fédérale de droit international privé mais aussi et d’abord aux conditions d’une convention internationale liant l’État dans lequel le jugement a été rendu et la Suisse, pour autant qu’une telle convention existe.

 

Suisse – la France : aucune convention internationale ne s’applique

La Convention sur la reconnaissance des divorces et des séparations de corps conclue à La Haye le 1er juin 1970 est une convention internationale signée par plusieurs Etats, dont la Suisse. Cette convention vise à faciliter la reconnaissance dans un autre Etat des divorces et des séparations de corps acquis sur leurs territoires respectifs et prévoit la reconnaissance dans un autre Etat d’un jugement rendu par le juge de l’époux défendeur mais aussi la reconnaissance, à certaines conditions, d’un jugement rendu par le juge de la résidence habituelle de l’époux demandeur (qui actionne en justice) ou par le juge de l’époux défendeur ou encore par juge de la nationalité de l’époux demandeur ou des deux époux.
La France n’a pas signé cette convention.
Dès lors cette convention internationale n’est pas applicable entre la Suisse et la France
Sur la liste des Etats signataires, voir Champ d’application.

 

Aux termes de la Convention de Lugano, dont la Suisse et la France sont signataires, sont notamment exclus de son application l’état et la capacité des personnes physiques, les régimes matrimoniaux, les testaments et les successions, voir Art. 1 al. 2 let.a CL.
Le divorce ou la séparation de corps étant relatifs à l’état et la capacité des personnes physiques, la Convention de Lugano ne leur est pas applicable.
Il n’existe pas d’autre convention entre la Suisse et la France régissant la compétence des tribunaux à raison du lieu concernant les actions en divorce ou en séparation de corps.

 

Si aucune convention internationale n’est applicable pour juger de la compétence indirecte

Lorsqu’aucune convention internationale ne régit la compétence du juge étranger, la compétence indirecte du juge étranger se détermine au regard de la loi fédérale de droit international privé.
Aux termes de la loi fédérale de droit international privé, les décisions étrangères de divorce ou de séparation de corps sont reconnues en Suisse lorsqu’elles ont été rendues dans l’Etat du domicile ou de la résidence habituelle, ou dans l’Etat national de l’un des époux, ou si elles sont reconnues dans un de ces Etats.
Toutefois, la décision rendue dans un Etat dont aucun des époux ou seul l’époux demandeur a la nationalité n’est reconnue en Suisse que:

      a. lorsque, au moment de l’introduction de la demande, au moins l’un des époux était domicilié ou avait sa résidence habituelle dans cet Etat et que l’époux défendeur n’était pas domicilié en Suisse;
      b. lorsque l’époux défendeur s’est soumis sans faire de réserve à la compétence du tribunal étranger, ou
      c. lorsque l’époux défendeur a expressément consenti à la reconnaissance de la décision en Suisse.

Voir Art. 65 VI. Décisions étrangères.
En d’autres termes, lorsqu’un conjoint étranger introduit action auprès d’un juge de son pays et que l’autre conjoint n’a pas la même nationalité et qu’il habite en Suisse, le jugement de divorce étranger ne sera pas reconnu en Suisse, sauf si l’autre conjoint a accepté la compétence du juge étranger ou accepte la reconnaissance du jugement étranger en Suisse.