
À quel conjoint attribuer un bien immobilier dont les conjoints sont copropriétaires ?
(Variante 1 – Régime ordinaire de la participation aux acquêts, bien acquis au moyen des biens propres)
Sybille et David se sont mariés sous le régime légal ordinaire de la participation aux acquêts. Lors du divorce, ils se disputent sur l’attribution de l’appartement commun d’une valeur de 500,000 fr dont ils sont copropriétaires. Sybille revendique l’attribution exclusive de la propriété de l’appartement en faisant valoir qu’elle doit rester dans l’appartement familial avec leurs jeunes enfants dont elle a la garde.
David pourra-t-il s’y opposer et revendiquer l’attribution de l’appartement au motif qu’il a lui seul financé l’acquisition de l’appartement au moyen de 500,000 fr découlant d’un héritage ?
Réponse
L’appartement acheté par le couple dont Sybille et David sont copropriétaires pour moitié chacun est un bien immobilier, tout comme une maison, qui constitue le logement familial. Sybille fait valoir le droit à obtenir la propriété exclusive de l’appartement en tant que logement familial, ce qui permettra d’éviter à ses enfants de devoir déménager et changer de cadre de vie. Au cas où les époux ne parviennent pas à s’entendre sur l’attribution de l’appartement, le juge devra trancher. Il risque fort de considérer que l’intérêt prépondérant à conserver aux enfants leur cadre de vie doit l’emporter.
Toutefois, Sybille ne pourra pas obtenir la pleine propriété de l’appartement sans verser une indemnité à David.
Indemnité à verser à David
Pour sa part, David fait valoir le financement exclusif du bien, cela au moyen de ses fonds propres puisqu’il s’agit d’un héritage.
Sur la notion de fonds propres,voir Effets communs >> Régimes matrimoniaux >> 2. Participation aux acquêts.
Dès lors, Sybille devra indemniser David entièrement pour pouvoir prétendre conserver la propriété de l’appartement dans l’intérêt des enfants comme suit:
Part de copropriété qu’il lui cède dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial: | Fr. 250,000.- |
Remboursement de la valeur de la part de copropriété de Sybille financée par David au moyen de ses fonds propres: | Fr. 250,000.- |
Total: | Fr. 500,000.- |
En tout, Sybille devrait donc verser 500,000 fr., cela sans prendre considération une éventuelle plus-value par simplification, à ce sujet voir 7. Plus-value à sa maison grâce à l’autre.
Cas inverse : David reprend l’appartement : indemnité à verser à Sibylle
Pour sa part, si David souhaitait revendiquer l’attribution exclusive de la propriété de l’appartement, la situation serait alors la suivante:
Achat de la cession de la part de Sybille (dette): | Fr. 250,000.- |
Créance envers Sybille pour avoir financé sa part: | Fr. 250,000.- |
Total: | Fr. 0.- |
Ainsi, David n’aurait en définitive pas à verser à Sybille le prix de sa part car il le compensera avec sa créance en récompense du même montant envers elle pour avoir financé grâce à ses biens propres la part de copropriété de Sybille.
Si David reprend seul l’appartement, Sybille pourrait faire encore valoir un droit d’habitation
À noter encore que si Sybille et David liquident le régime matrimonial de la participation aux acquêts dans le cadre d’un divorce et que David devient seul propriétaire de l’appartement, Sybille ne pouvant désintéresser David, Sybille pourrait alors faire valoir un droit d’habitation d’une durée limitée, droit qui découle de la loi et que le conjoint non propriétaire peut opposer au conjoint propriétaire en vue de protéger le logement de la famille, voir Effets du divorce >> Demeure commune et divorce >> 2. Droit d’habitation et divorce.
Comment se règle le sort de l’appartement si aucun des époux ne le reprend ?
Dans le cas où ni Sybille, ni David ne peuvent ou ne veulent revendiquer l’attribution de l’appartement, il ne leur restera plus qu’à en garder la copropriété après le divorce ou encore à vendre l’appartement et se répartir le produit de la vente, étant précisé qu’en l’espèce vu le financement exclusif de l’appartement par David au moyen de ses biens propres, le produit de la vente lui reviendra entièrement.
Pour en savoir plus (sources & règles applicables en droit suisse)
Attribution du bien en copropriété : règles générales
Aux termes de la loi, chacun des copropriétaires a le droit d’exiger le partage, s’il n’est tenu de demeurer dans l’indivision en vertu d’un acte juridique, par suite de la constitution d’une propriété par étages ou en raison de l’affectation de la chose à un but durable. Voir Art. 650 C. Propriété de plusieurs sur une chose / I. Copropriété / 10. Fin de la copropriété / a. Action en partage .
Si les copropriétaires ne s’entendent pas sur le mode du partage, le juge ordonne le partage en nature et, si la chose ne peut être divisée sans diminution notable de sa valeur, la vente soit aux enchères publiques, soit entre les copropriétaires. Voir Art. 651 C. Propriété de plusieurs sur une chose / I. Copropriété / 10. Fin de la copropriété / b. Mode de partage.
Attribution du bien en copropriété : règles particulières entre époux
Sur les cas dans lesquels le régime matrimonial de la participation aux acquêts est dissous et liquidé, voir 2. Participation aux acquêts.
Lorsqu’un bien est en copropriété, un époux peut demander, en sus des autres mesures prévues par la loi, que ce bien lui soit attribué entièrement s’il justifie d’un intérêt prépondérant, à charge de désintéresser son conjoint. Voir Art. 205 E. Dissolution et liquidation du régime / II. Reprises de biens et règlement des dettes / 1. En général .
Selon le Tribunal fédéral, chacun des copropriétaires a le droit d’exiger le partage, à moins qu’il ne soit tenu de demeurer dans l’indivision en vertu d’un acte juridique, par suite de la constitution d’une propriété par étages ou en raison de l’affectation de la chose à un but durable ou parce que le partage interviendrait en temps inopportun. En cas de divorce, le partage n’intervient en règle générale pas en temps inopportun et la condition du but durable n’est plus réalisée. Si les copropriétaires ne s’entendent pas sur le mode de partage, le juge ordonne le partage en nature ou la vente aux enchères publiques ou entre les copropriétaires, ou attribue le bien entièrement à celui des époux qui justifie d’un intérêt prépondérant, à charge pour lui de désintéresser son conjoint. Voir TF, 5A_352/2011, consid. 5.1.1.
Quand un conjoint a-t-il un intérêt prépondérant ?
Selon la jurisprudence, un intérêt prépondérant peut revêtir diverses formes. Il faut que l’époux requérant puisse se prévaloir d’une relation particulièrement étroite avec le bien litigieux, quels qu’en soient les motifs.
L’intérêt prépondérant consistera par exemple :
- dans le fait que l’époux requérant a pris une part décisive à l’acquisition du bien commun,
- qu’il manifeste un intérêt particulier pour ce bien,
- que le bien a été apporté par lui au mariage
- ou encore qu’il s’agit d’un bien de l’entreprise dont il s’occupe.
Le juge doit procéder à une pesée de l’intérêt. Voir TF, 5A_600/2010, consid. 4.1 et 5.
L’intérêt des enfants à conserver leur cadre de vie peut aussi être invoqué pour revendiquer la propriété du bien immobilier. Voir ATF 119 II 197, consid. 2.
Si le conjoint intéressé ne peut indemniser l’autre
Cependant, il faut aussi tenir compte des intérêts purement économiques du conjoint qui demande la mise en vente du bien, raison pour laquelle une attribution à l’un des conjoints ne peut avoir lieu que contre pleine indemnisation de l’autre, en tenant compte de la valeur vénale (son prix de vente sur le marché). Lorsque le conjoint désirant reprendre l’immeuble ne parvient pas à démontrer sa capacité à désintéresser l’autre conjoint, il convient d’ordonner aux parties de mettre en vente l’immeuble aux enchères publiques. Voir TF, 5A_600/2010, consid. 4.1 et 5.