6. Cadeaux excessifs à des tiers

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Les dépenses excessives d’un conjoint en faveur d’un tiers doivent-elles être remboursées à l’autre conjoint ?
(Régime ordinaire de la participation aux acquêts: créance en réunion contre le conjoint en cas de libéralités excessives)

Henri a trompé Sabine pendant plusieurs années. Henri a consacré ainsi 60,000 fr. ces dernières années à l’entretien de sa maîtresse, en lui offrant de surcroît 50,000 fr. pour ses vieux jours, soit en tout 110,000 fr. financés au moyen de son salaire.
À l’heure du divorce, Sabine peut-elle faire valoir des prétentions en remboursement contre Henri pour les largesses ainsi consenties ?

 

Réponse

Les cadeaux faits au moyen des biens propres ou des acquêts de l’époux trop généreux ?

La première question à se poser est celle de savoir si Henri a pris ces 110,000 fr. sur ses acquêts ou sur ses biens propres. En effet, s’il s’agit de ses biens propres, Sabine ne pourra pas réclamer quoi que ce soit en réparation, Henri disposant entièrement de ses biens propres à son bon vouloir.

 

Les montants de 60,000 fr. ainsi que de 50,000 fr. proviennent du salaire d’Henri. Ils doivent dès lors être ajoutés arithmétiquement aux acquêts d’Henri. Sabine a donc droit à la moitié du montant total de 110,000 fr., soit 55,000 fr. au titre de créance en participation au bénéfice des acquêts d’Henri (limités par simplification au montant précité). Si Henri ne parvient pas à verser ce montant à Sabine, elle sera privée de 55,000 fr. du fait des cadeaux qu’a faits Henri à sa maîtresse. Sabine pourra donc agir en justice contre celle-ci pour obtenir le remboursement de ce montant.
À noter que si Henri a donné à sa maîtresse des biens (par exemple des titres) pour un montant de 55,000 fr., Sabine ne peut pas exiger la restitution des biens donnés mais seulement faire valoir une créance pécuniaire en remboursement.

 

Sabine se plaint des cadeaux excessifs devant le juge : la maîtresse pourrait aussi devoir rendre des comptes

Dans le cas où Sabine aurait d’ores et déjà agi en justice contre Henri, par exemple dans le cadre de l’action en divorce, Sabine pourrait assigner la maîtresse d’Henri devant le juge saisi en lui dénonçant le litige. Si Sabine obtenait gain de cause, le jugement serait également opposable à la maîtresse d’Henri. Par ailleurs, Sabine pourrait aussi agir en justice directement contre la maîtresse d’Henri si elle ne parvenait pas à obtenir de celui-ci les montants soustraits.

 

Pour en savoir plus (sources & règles applicables en droit suisse)

La question des “cadeaux” excessifs se pose lors de la fin du régime matrimonial, sa liquidation, par exemple lors du divorce

Sur les cas dans lesquels le régime matrimonial de la participation aux acquêts est dissous et liquidé, voir Effets communs >> Régimes matrimoniaux >> 2. Participation aux acquêts. Aux termes de la loi, au stade de la liquidation du régime matrimonial ordinaire de la participation aux acquêts, sont réunis aux acquêts, en valeur les biens qui en faisaient partie et dont l’époux a disposé par libéralités entre vifs sans le consentement de son conjoint dans les cinq années antérieures à la dissolution du régime, à l’exception des présents d’usage.
Voir Art. 208 E. Dissolution et liquidation du régime / III. Détermination du bénéfice de chaque époux / 2. Réunions aux acquêts.
Lorsqu’on détermine le compte d’acquêts d’un époux, il faut donc non seulement tenir compte des biens existants qui constituent des acquêts mais aussi des créances en réunion, notamment qui découlent de cadeaux ou prestations gratuites excessifs à des tiers (soit les libéralités entre vifs dont parle la loi). La loi a ainsi pour but d’empêcher que l’époux qui a droit à la moitié du bénéfice du compte d’acquêts de son conjoint perde en pratique ce droit. En effet, lorsqu’un conjoint fait des dépenses excessives en faveur d’un tiers au moyen de ses acquêts, notamment de son salaire, il diminue le bénéfice de son compte d’acquêts. Voir TF, 5C.111/2002, consid. 2.1.2.

 

Agir en justice contre le tiers (par ex. la maîtresse ou l’amant) ?

Lorsque les époux sont déjà en procès

L’époux créancier en procès avec l’époux débiteur au sujet des libéralités ou des aliénations sujettes à réunion peut dénoncer le litige existant avec son conjoint au tiers bénéficiaire. Le jugement est alors opposable au tiers. Voir Art. 208 E. Dissolution et liquidation du régime / III. Détermination du bénéfice de chaque époux / 2. Réunions aux acquêts.

 

Lorsque les époux ne sont pas ou plus en procès

À noter encore que la loi autorise l’époux créancier ou ses héritiers à agir en justice contre les tiers qui ont bénéficié des dépenses sujettes à réunion à certaines conditions. Voir Art. 220 3. Actions contre les tiers.

 

Liens utiles

Sur le droit de connaître les comptes du conjoint, voir Effets communs >> Effets généraux du mariage >> 1. Devoir d’informer l’autre.
Pour un exemple de prise en compte de la créance en réunion contre le conjoint dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial de la participation aux acquêts, voir 10. Liquidation (exemple chiffré complexe).